Introduction
Les textes rassemblés
ici ont été rédigés au cours de deux stages
de formation syndicale par des enseignants et des personnels spécialisés,
du premier et du second degré.
Le stage de formation syndicale organisé en deux sessions en mars
et mai 2000 avait pour objet de faire un état des lieux des aides
aux élèves en difficulté et de l’intégration
des enfants handicapés. Plus de quatre-vingts personnes, enseignants
et personnels spécialisés de l’Education Nationale des trois
départements de Basse-Normandie y ont participé.
Ce travail fait suite à un précédent « livre
blanc de l’AIS » et se veut une réponse aux menaces qui pèsent
sur l’existence de ce secteur. Notre ambition est de nous opposer au démantèlement
progressif des structures spécialisées de l’Education nationale
auquel nous assistons depuis plusieurs années.
En effet, les objectifs avoués sont doubles : réduire
les coûts et recentrer les aides sur le " tout pédagogique".
Ils sont le résultat des dogmes dictés par Bercy et l’administration
centrale de l’Education nationale qui considèrent que l’école
doit se recentrer sur ses missions fondamentales et n’aborder les apprentissages
que du strict point de vue pédagogique.
Notre réponse n’est en rien corporatiste. Il ne s’agit pas de
défendre des « intérêts acquis ». Bien
au contraire, nous souhaitons expliquer notre travail et permettre que
les évolutions légitimes et nécessaires, notamment
en matière d’intégration d’enfants handicapés se fassent
dans les meilleures conditions possibles.
Notre réponse est d’abord celle de défense d’un service
publique de qualité aujourd’hui menacé. Notre combat rejoint
celui de ceux qui refusent l’instauration d’une société profondément
inégalitaire où ce sont toujours les plus défavorisés
qui permettent de réaliser les économies décidées
ailleurs.
Afin de mieux comprendre la situation actuelle un nécessaire
détour vers le passé est nécessaire.
Réchauffer l’ancien...
L’école au fil de son histoire confrontée à l’accueil
d’élèves handicapés ou en difficulté scolaire
s’est dotée de personnels et de structures spécialisées.
Au début du siècle, le Dr Bourneville, dont l'action
s'inscrit dans la logique du traitement des enfants « idiots et dégénérés
», se bat pour transformer l'asile. Il participe à la création
d'écoles à l'intérieur des établissements,
mais aussi des classes spéciales dans l'école ordinaire.
Les travaux de Binet et Simon à l'asile du Perray Vaucluse, l'élaboration
de l'échelle métrique de l'intelligence en 1905 en réponse
à une demande du ministère de l'instruction publique, visait
à repérer parmi les élèves ceux dont l'échec
était imputable à une insuffisance de moyens intellectuels
et qui devaient être pris en charge dans les classes de l'enseignement
spécial. Le souci de décharger l'école ordinaire du
poids que représentait la présence d'élèves
en difficulté pour être plus efficace pour les élèves
«normaux» n'a jamais été mis en avant. Bien au
contraire, la logique qui a prévalu est celle de l'inclusion. C’est-à-dire
permettre à des enfants en difficulté, à l'intérieur
de l'école ordinaire, de suivre un enseignement adapté.
Le modèle de l'exclusion (issue de l'idée du «
grand renfermement » de Foucault) qui est souvent utilisé
pour décrire les classes de perfectionnement paraît donc,
au regard de ce qu'étaient les intentions des promotteurs de ces
classes, abusif. II s'agissait tout simplement de proposer une éducation
compensatrice qui permette, à travers un détour ségrégatif,
de compenser les handicaps pour une future intégration sociale.
Depuis un siècle deux courants s'opposent quant à la
scolarisation, à côté des établissements spécialisés,
des enfants handicapés. Le premier préconise à travers
un « détour ségrégatif » de permettre
à l'enfant à l'intérieur de l'école ordinaire
de suivre un enseignement adapté alors que le second défend
l'intégration individuelle. Ainsi certains pays (USA, Italie...)
sont allés beaucoup plus loin. : les élèves handicapés
ont été placés individuellement dans les classes ordinaires.
... pour comprendre le nouveau
En France, l'enseignement spécial, jusqu'à une date récente,
a vu coexister les structures et les modes de fonctionnements issus de
ces deux modèles, qui s'ils s'opposent sur une plan théorique,
correspondent dans la réalité à des besoins différents.
Or, il semble bien que nous assistions actuellement à la prédominance
d'une des deux idées : celle de l'intégration individuelle
des enfants handicapés. Se parant du discours de la nouveauté,
et faisant passer leurs opposants pour des dinosaures, nos administrateurs
justifient leur politique en s’appuyant sur un discours qu’il convient
de discuter. Leur propos consiste à dénoncer les aspects
ségrégatifs des structures spécialisées telles
qu’elles ont été conçues à l’origine.
Ainsi, les classes de perfectionnement doivent-elles disparaître.
Les orientations vers les CLIS deviennent suspectes « d'un excès
de catégorisation » par les psychologues et les CCPE. La loi
de 1975 sur les personnes handicapées est aujourd'hui menacée.
La notion de handicap est remise en cause et si celle-ci devait disparaître
ce sont toutes les structures spécialisées qui suivraient
le même chemin.
Pourtant, l'intégration n'est-elle pas parfois porteuse d'exclusion
à l'intérieur même de la classe ? Quelles peuvent être
les conséquences de cette exclusion et de la souffrance qui en résulte
pour l'enfant, l'adolescent et l'adulte ?
Certains enfants perturbés et perturbateurs entravent la bonne
marche de la classe. Ils posent problème aux maîtres et aux
autres élèves. Quelles sont les réponses qui sont
alors apportées si toutes possibilités de « détour
ségrégatif » sont d'emblées exclues ?
Si la possibilité de faire appel à une aide spécialisée
est devenue impossible ?
Pour notre part nous tenons à réaffirmer que l'intégration
ne doit pas nier le handicap, elle doit aider à le reconnaître
et l'Education nationale doit donner les moyens nécessaires permettant
une scolarisation aussi bonne que possible aux élèves ainsi
accueillis.
Les discours ministériels actuels tendent à accréditer
l'idée d'une inutilité des RASED et de la nécessité
de leur dépassement avec le nouveau dogme : «C'est au sein
de la classe que seront résolues toutes les difficultés!
». Ségolène Royal fait référence pour
la première fois à « plus de maîtres que de classes
» mais dans le même temps indique que « l'action des
personnels des RASED devrait être davantage insérée
dans la classe ».
Il ne faudrait pas en effet que « le potentiel de 14 000 postes
» opportunément rappelé par S. Royal dans sa déclaration
de mai dernier ne constitue un formidable réservoir dans lequel
le ministère pourrait facilement puiser. Pour des raisons économiques
et s'appuyant sur une vision idéologique de l'échec scolaire
et du handicap, l'Education nationale à travers l'intégration
réalise des économies.
Dès lors, l’école se recentrerait sur la seule aide pédagogique
et abandonnerait le traitement des autres difficultés aux «
services extérieurs »
Dans le Calvados
Le discours de la calculette, c’est-à-dire d’une «
sur-dotation » en structures et personnels spécialisés,
a coûté au département de trop nombreux postes qui
ont été rendus au ministère.
La politique mise en place au niveau national s'est concrétisée
par une expression accentuée lorsqu’elle a trouvé un zélé
défenseur dans un Inspecteur d’Académie nommé par
un précédent gouvernement.
Aujourd’hui, des secteurs entiers ne bénéficient plus
de l’aide spécialisée des RASED. Il manque des rééducateurs,
des psychologues et des maîtres d’adaptation. Des missions d’aide
pédagogique sont confiées aux aides éducateurs qui
n’ont reçu aucune formation pour cela.
Le nombre de départ en stage permet simplement au niveau le
plus bas le maintien du potentiel des psychologues, mais est insuffisant
en ce qui concerne les autres catégories de personnels.
Trop souvent encore les postes spécialisés sont considérés
comme une « réserve » permettant le jour de la rentrée
de parer au plus pressé.
Le futur est porteur de dangereuses régressions
Lorsque nous faisons le bilan des évolutions en cours nous
observons que :
-
Dans tous les secteurs, on assiste à une diminution des postes spécialisés,
qui accompagne une fermeture progressive et continue des structures scolaires
spécialisées.
-
Du côté des RASED, on assiste à la transformation de
classes de perfectionnement en classe d’adaptation fermée chargée
d’accueillir les élèves qui n’auraient pas leur place en
CLIS. Cette politique se fait au détriment de la prévention
et du traitement des difficultés scolaires.
-
L’intégration coûte que coûte des élèves
handicapés dans l’école ordinaire sans moyens supplémentaires
conduit à des situations de tension entre les familles et l’école,
d’autant plus regrettables qu’une intégration préparée
et réussie est source de satisfaction pour tous.
-
Que dire de ces enfants perturbés et perturbateurs qui rendent la
vie impossible aux enseignants et aux élèves de leur classe.
Rien n’est réellement prévu pour les accueillir et la déscolarisation
ne peut être une réelle solution.
-
Dans de trop nombreux cas, les orientations prononcées par les CCPE
ne sont pas suivies d’effet, faute de place dans les établissements
concernés.
En fin de compte, les orientations actuelles conduisent à une médicalisation
de l’échec -les CMP, CMPP, les orthophonistes... sont "débordés"
de travail- dont nous savons tous que seules les familles les plus favorisées
pourront bénéficier.
En ce qui nous concerne, comme en 1996, sans alarmisme excessif mais
déterminés, nous entendons bien continuer d’écrire
l’histoire d’une éducation au service de tous.
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